L’ivresse du grand soir.
C’était pourtant pas grand chose, un
enfant arrêté par les flics, un vieux qui vient lui prêter main forte,
une bastonnade comme il y en a eu tant d’autres. Mais ça s’est passé à
Saint Michel, devant les bouquinistes, les badauds ont filmé, d’autres
se sont interposés, ça a dégénéré, les portables d’un coté, les radios
ondes courtes de l’autre, les copains de copains sont arrivés et des
meutes de CRS en tenues complètes, la messe était dite, les quatre
agents étaient au sol, à coté des deux victimes, ils avaient subi le
même sort qu’eux. Les CRS ont pris position et les rafles ont commencé, il suffisait d’être dans la rue pour se faire arrêter. Les badauds se sont transformés en citoyens et ont commencé à se défendre en groupe, comme ça, spontanément. Peu
se connaissaient, mais la même volonté animait tout le monde, les
combats furent rudes les deux camps eurent des blessés, mais un seul eut
des morts, et par dizaine. Les policiers se sont retirés par ordre
du préfet car ils étaient débordés, les révoltés de Saint Miche comme on
les appela plus tard les ont poursuivis, jusqu’au quai des Orfèvres, le
siège du bâtiment, par deux cent mille manifestants selon les médias
sur place, eurent comme réponse des tirs à balle réelle de certaines
fenêtres. Des pavés volèrent, des bouteilles vides, puis pleines, ils
avaient réussi à trouver des tuyaux pour siphonner les cars de police
garés là, l’incendie ravagea tout le bâtiment, l’Histoire de Paris se
construisait sous nos pas en emportant les vestiges de son passé dans
les cendres de l’oubli. Les agents qui réussirent à s’enfuir parlent d’une meute de fous qui leur courait après dans toutes les rues. Je ne sais qui a lancé le premier mot à ce sujet, mais en un instant tout le monde criait « à l’Elisée ». Là
j’ai passé quelques coups de fil et compris ce qu'il se passait, les
images de tout depuis le début circulaient sur le net, partout en France
des frondes étaient en route, le mouvement était parti d’un fait divers
banal pour les journaux, il s’était transformé en révolte spontanée. Cela fait maintenant un an, et tant de choses se sont passées, si vite… Le
président a déclaré l’état d’urgence, et l’armée est sortie de sa
réserve pour inonder les pavés de sang, des militaires ont fait acte de
désobéissance, ils ont été arrêtés, d’autres ont rejoint le camp des
insurgés, nous avions des armes, et des hommes qui savent s’en servir,
après trois jours de bataille rangés dans les rues, ils sont passés à la
vitesse supérieure, l’Elisée était entourée de chars, des tireurs
d’élite dans tous les coins, mais c’était sans compter Moussa. Moussa
c’était le nom du gamin qui avait reçu le coup de matraque de trop, né
de mère kabyle et de père lorrain, le père car c’est lui qui nous
intéresse était au GIGN, et il était posté sur un toit, dans la lunette
de son fusil il regardait ce qu’il se passait, cela faisait quatre jours
qu’il était mobilisé, quand son portable sonna. Au bout du
téléphone, sa femme, elle qui n’appelait jamais quand il était de
service, cela lui mit tout de suite la puce à l’oreille, quelques mots
plus tard une larme de haine courait le long de sa joue, il reprit ses
esprits, visa, et tira. Il était formé à tuer, et les experts qui
écrivent les livres ne comprendront jamais pourquoi le tir a touché le
cou, certains diront que sous l’effet de la colère le tir fut mal
ajusté. Mais sa femme elle dira un jour qu’il voulait qu’il se rende compte de ce qu’il avait créé en dix ans de présidence. Il
est mort en trois minutes, le tir lui avait explosé une partie de la
veine jugulaire, le cerveau était alimenté, mais le sang ne revenait
plus dans le corps. Deux heures plus tard le président de l’assemblée
a fait une annonce télévisée pour calmer les esprits, en fin stratège,
il s’entoura de gamins à l’antenne, en faisant remarquer « que
maintenant il fallait construire un avenir pour les plus jeunes d’entre
nous », pour preuve d’apaisement, il retirait l’armée des rues. Cela
eut un double effet, les bâtiments publics furent pris d’assaut et les
militaires se révoltèrent, des minis putschs éclataient ça et là, ils ne
voulaient pas rentrer quand « la patrie était en danger », les soldats
restant faisaient partie du noyau dur de l’armée, celui qui soutient les
dictateurs jusqu’au bout, donc l’armée voulait prendre le pouvoir mais
il n’y avait aucun général qui aurait pu devenir leader d’un mouvement
contre révolutionnaire, du coup, le tas de putschs se transforma en tas
de merde, ils commencèrent à piller les maisons, à tuer sans sommation,
la guerre civile atteint son paroxysme quand un conseil de sages se
réunit pour décréter « Paris zone franche et commune autonome » des
milliers de gens participèrent à la remise en route des infrastructures,
ils ne travaillaient plus pour un salaire, mais pour le bien commun. Le
conseil vota des lois, dont la première et la plus emblématique « le
pouvoir ne sera plus jamais entre les mains d’un seul homme, un concile
de trois personnes renouvelables une par une tous les trois ans sera en
charge des rôles anciennement portés par le président de la république. »
une deuxième solidifia la popularité de cette nouvelle assemblée
parlementaire, « les deux assemblées sont dissoutes, elles sont
remplacées par une assemblée qui garde le nom de nationale qui sera
constituée sur la base de la parité sociale, le triumvirat a en charge
de faire des élections tous les cinq ans pour la renouveler par tiers en
laissant toujours des pourcentages de représentativités sociales. » Une milice nationale fut constituée pour ramener l’ordre et arrêter les derniers soldats qui n’en faisaient qu’à leur tête. Cela
fait un an et cela marche, je n’en reviens pas, les élections ont eu
lieu il y a trois mois, le pays se reconstruit, les gens ont des tas
d’idées pour que les choses soient simplifiées. Cela fait un an et je suis enfin vraiment à ma place dans une société que j’aide à construire petit à petit.
Ecrit par ode, le Mardi 15 Février 2011, 08:20 dans la rubrique "Histoire".
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